« [...] Juillet arrive quand même, cette année. Nous sommes fatigués d’autant de travail et de préoccupations. Roger est euphorique de retrouver ses enfants dans ce cadre tant aimé. Au long de la saison, il peut à peine les rencontrer, n’ayant qu’un planning élastique et imprévisible. Il les voit chaque jour à la Mercurie, peut les embrasser, les chouchouter, faire des exceptions pour les accepter dans des moments et des lieux interdits aux profanes. Thomas a dix ans et milite en tout pour son papa. C’en est presque une dévotion de ces deux-là l’un pour l’autre. Bien sûr, je suis aussi comédien, et mon filleul admiratif ne conçoit nul autre avenir que le théâtre, plaisante son père :
- De toute façon, La Grande Courtine tu vas pas la jeter. Alors je serai directeur, metteur en scène et comédien.
- Attends un peu que je sois une vieille baderne à la retraite !
- Si tu veux je t’engage. Tu ne joues pas trop mal… je te donnerai des cours.
C’est un prétexte à chahut et chatouilles, qui se renouvelle aussi souvent que possible. Avec ses sept ans, Angélique est plus sérieuse, prend volontiers la pose des personnages interprétés devant elle. Elle préfère les câlins aux chahuts de garçons.
- Dis parrain, pourquoi la comtesse elle a la tête levée comme ça ?
Elle me fait sa comtesse, je lui réponds comme le marquis
- Parce que c’est une grande dame qui a beaucoup d’éducation. Lisette, c’est sa servante et elle n’est pas allée à l’école.
Elle répète ce que je viens de dire, en accentuant chaque intonation et se rengorgeant ; nous partons d’un éclat de rire. Je la prends dans mes bras pour faire quelques tours de danse.
- Tu m’apprendras à danser la valse ?
- Quand vous voulez, madame la comtesse.
Et nous repartons dans une valse virevoltante… pour nous écraser dans l’herbe. J’adore ma famille : Elodie, Edwige, Roger, Françoise, Thomas, Angélique.
Ah ! Cette année, nous avons monté une cabale contre le discours d’accueil de notre directeur d’acteurs ; Agnès et les enfants sont de mèche. Il demande le silence, je donne le signal quand il va prendre la parole. Tous ensemble, nous prononçons le rituel, devant le visage ébahi et heureux du maître :
- Je ne vous cacherai pas que mon choix d’une pièce du dix-huitième siècle est, en ces lieux, totalement et subjectivement égocentrique…
Il éclate de rire, élabore une grimace clownesque, attend la suite, que nous entonnons aussitôt :
- Cette année, nous étudierons un auteur cher à mon cœur, et ses « Fausses Confidences ».
- Raté !! ce ne sera pas Marivaux, cette fois, mais bien une pièce du dix-huitième siècle.
Il ne va pas s’en tirer à si bon compte, car nous savons notre rôle au rasoir : [...] »