Ce roman est bien proche du passé de son auteur, par la forme. Mais il ne faudrait pas croire qu’il est autobiographique, pas plus que les précédents, heureusement ! Son narrateur y emploie son langage imagé, et son esprit critique constant croque des personnages attachants ou caricaturaux. Bon voyage !
[...] Je croyais dormir ; un deuxième branchage se brise ; quelque chose, quelqu'un de maladroit progresse dans le taillis. Assis dans mon sac, les deux bras soutenant le corps, je force mes oreilles à percevoir. Un gros animal. Peut-être un homme. Ou deux. L'arrivant, les arrivants approchent. Est-ce la nuit qui les gêne, les faisait ainsi se heurter à chaque ramure, bousculer chaque aspérité ? Non. Trop de bruit. C'est un animal blessé qui titube, pesant, aux abois. Je n'y tiens plus, enfile mon pantalon, ma saharienne. Je glisse mes pieds dans mes pataugas sans cesser de scruter chaque bruit. Ma lampe est dans ma main, mon couteau neuf à ma ceinture. La fermeture éclair est presque imperceptible quand elle libère lentement l'accès de ma tente.
Il faut maintenant que mes yeux s'habituent aux ténèbres extérieures. Mon regard se porte immédiatement dans la direction de l'intrus. Pas de lune. Le visiteur semble s'être arrêté. A-t-il distingué un glissement quand je me suis extirpé de mon abri ? Sûrement pas, il fait trop de bruit pour entendre quoi que ce soit. Je m'accroupis. Même en plein jour, ma tente n'est pas visible à qui arrive par ce chemin forestier. C'est donc un animal qui a flairé mon odeur d'humain ; qui se prépare. Je ne bouge plus d'un cil.
Il remue à nouveau, j'appréhende un mouvement, une forme. Je crois que c'est un homme ; qu’il se relève en soulevant une charge. Un murmure ; un autre, étouffé. Ce sont donc des hommes. Ils doivent être deux ; en pleine nuit ; en difficulté ou se cachant. S'ils se cachent, il y a peut-être danger... Mais s'ils ont besoin d'aide ?
Ils vont bientôt être à la hauteur de mon campement. J'ai déjà décidé que je leur proposerai mon aide en cas de besoin. Je vois mieux, maintenant. Il paraît que l'un soutient l'autre. Je me déplace en même temps qu’eux. Très lentement. Sans bruit. Me poste sur leur itinéraire. Ils sont trop occupés d'eux-mêmes pour flairer ma présence. Je vais me manifester... STOP ! J'arrête tout mouvement. Ils sont presque à mon niveau. Celui de gauche doit être une fille qui soutient un type. Sur son tee-shirt clair se découpe une silhouette inquiétante. La crosse d'un revolver, sans doute, dans la ceinture de son pantalon. [...]
Au cinéma, ce serait un « road movie ». L’« erre », c’est le voyage, la route, la manière de marcher, et Thomas est un homme de paroles. Éducateur à la DDASS, hyperactif dans plusieurs associations, il a oublié de prendre des vacances depuis si longtemps qu’il n’en sait plus la date. Il décide de partir sur les routes pour revoir des personnes qu’il a appréciées et aimées il y a longtemps. L’eau a passé sous les ponts, ses amis ne sont plus exactement ce qu’ils étaient, c’est parfois le bonheur intégral, d’autres fois la déception est au bout du chemin. Dans ses pérégrinations, il est seul face à lui-même et ne peut plus se cacher derrière ses activités. Mais il est boulimique de contacts humains et retombe toujours sur ses pattes avec une bonne dose d’humour… même quand il fait d’étonnantes rencontres qui perturbent toute sa vie, d’autres qui pourraient le conduire en prison.
[…] Je me presse vers le bureau du directeur. L’entretien est bref. Je supposais un refus et me préparais au chantage de l’arrêt de travail, du congé qui le suivrait. Ce n’est pas nécessaire, car mon chef trouve, comme moi, que je suis passablement fatigué et irascible. Il voulait justement m’en faire la remarque et m’avertir qu’il faudrait que je sois moins agressif envers les enfants et les collègues, envers le psy de la DDASS… qui est allé lire à un de mes gamins la lettre du médecin scolaire qui alertait sur son état grave.
- Ça, au moins, ce sont des consignes pédagogiques !! Au fait, tu as réglé le problème de Stéphane, la fugue de Michel, la bagarre de Ludivine, les pétards dans le dortoir, la fuite dans les douches, le trou dans le parc,… ?
- Ça va ! ça va ! tu vas pas nous faire ton délégué syndical !
- Si tu ne me fais pas ton "chef éducateur qui n’est jamais sur le terrain".
- Bon ! allez ! pars en vacances, ça nous en fera aussi !
En ressortant dans le couloir j'aspire une grande bouffée d'air. Il faut que je sois deux pour qu'un moi-même propose de disparaître deux mois. […]