2021
COMMANDE EN LIBRAIRIE
Thebookedition
ISBN : 979-10-95146-05-6
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« [...]  Je hais les grilles des passerelles métalliques d’évacuation qui nous montrent le vide. Il fait nuit, ça va. Mais il faut enjamber le garde-corps pour passer sur la planche. Il pleut maintenant, pour corser mon vertige. Les mâtins hurlent comme des damnés. C’est bien la peine de se donner tant de mal à apprendre le contrôle de soi pour rester bloqué sur une planche au-dessus du vide. Et puis merde ! Je ne vais pas attendre les femmes de ménage, je serais forcé de toutes les éliminer, mon client n’apprécierait pas du tout. Je me mets à chantonner « Le chant du départ », sa marche m’entraîne sur la planche glissante et instable. Envie de gueuler après les chiens, je n’ai pas le temps. À quatre pattes, ce serait pire. « Tremblez ennemis de la France, rois ivres de sang et d’orgueil… » Ouille ! je rattrape… plus très loin. Vos gueules les mouettes ! Si je pouvais me concentrer sur ma tâche, ce serait trop demander !? L’arbre est moins glissant, protégé par son feuillage. J’avais noué la corde, elle lève la planche, la soutient petit à petit jusqu’au mur. Je fais contrepoids pour qu’elle monte dessus. Exténué. Il restera des traces de bois sur l’écorce, si la pluie ne nettoie pas tout. Et c’est parti pour un nouveau numéro de funambule. Les crevards en dessous voient pendre la corde et tentent de l’attraper. Trop haut, nabots ! « La république nous appelle… » Ce n’est pas la république mais ces clébards monstrueux ! Cette réflexion, cette seconde d’inattention, je dérape juste près du mur, mes genoux frappent le bois, mes mains se réceptionnent sur la pierre. J’ai connu des missions plus calmes. Pas le temps. Personne aux alentours, heureusement. Je me fais l’impression d’un ours dans un tir forain. Serait peut-être temps de prendre ma retraite ? La planche est sur la galerie, la corde à l’arrière, moi au volant. Roule ma poule !
Au bout d’une heure, je me demande si je suis bien en état de conduire. Nous sommes à trente kilomètres de Divonne-les-Bains. Je sais qu’il y a un casino. Il faudra ensuite que je me détourne, mais j’ai besoin de sommeil dans un bon lit où mon dos sera comme un coq en pâte. Premier hôtel venu, véhicule à distance, rien ne pourra m’empêcher de dormir si je pose bien la pancarte « Ne pas déranger » sur la poignée. Quand même, mes genoux contusionnés me font mal.
Laure a l’habitude que je coupe le portable quand j’ai passé une bonne partie de la nuit à jouer. Je n’aurai pas à lui mentir, je suis bien allé à Divonne, y ai couché, ai gagné de l’argent dans la soirée. Ma vie a toujours été entre ce qu’il ne fallait pas dire et la dissimulation.
 
     Les adultes sont magnifiques ! Ils vous inculquent qu’il faut dire la vérité et parler franchement. Ils mentent chaque fois que cela les arrange, ils digressent, arrangent, omettent. Quand vous êtes enfants et que vous leur dites crument les choses, c’est de l’insolence. Voire, c’est de la vantardise, de la méchanceté, du mauvais esprit… Les enseignants n’étaient pas habitués à ce qu’on leur fasse remarquer qu’ils se trompaient. Les parents vous corrigeaient aussi quand ils se sentaient agressés par la logique d’un propos. Comment un esprit peut assimiler toutes ces contradictions, ces injonctions paradoxales. Au début, ce peut être la révolte. Puis on apprend à les analyser et jouer leur jeu. Ils sont souvent si égocentriques qu’ils ne conçoivent pas que des enfants et des adolescents sachent mieux qu’eux pratiquer la psychologie.
    Dans la plus grande partie de ma vie, on a essayé de m’empêcher d’être curieux et d’aller plus loin. J’abhorre tout humain qui croit que ses connaissances – ou ses croyances – peuvent être assénées aux autres comme d’incontournables vérités. Ce fut ma révolte d’enfant, c’est celle de toute ma vie. [...] »
Thebookedition
ISBN : 979-10-95146-05-6
303 pages - Prix : 14 €
  « Quand on fait remarquer à quelqu’un que son travail est dégradant, indigne, répugnant… il nous sort à coup sûr : “ Il faut bien gagner sa vie ! ”»  Ben voilà, Christophe gagne sa vie. Retraité paisible et apprécié de ses voisins, il profite des absences de sa compagne pour accomplir des activités illégales lucratives.
Enfant, il pensait qu’il était normal de ne pas se rappeler les leçons lues et répétées, les gens qu’on rencontre… Il ne comprenait donc pas pourquoi il était traité de paresseux, de menteur, de fumiste. Il se souvient bien peu de son enfance, pas plus de sa vie depuis. Tout autour de lui, Christophe ajoute pense-bête sur pense-bête, et s’en sort très bien, ma foi. La vie lui a appris à s’adapter et à contourner les épreuves, et même à accepter son attention instable.
   
  André Gobry ne s’est jamais autant inspiré de son vécu dans une œuvre de fiction. L’intrigue et les personnages – Christophe le narrateur particulièrement – s’approchent parfois très près des souvenirs épars de l’auteur. Comme tous les souvenirs, les siens sont faits de son imaginaire collant à la réalité. Si vous désirez des éclaircissements, ne comptez pas sur lui pour faire la part des choses. Ce qui n’a pas été noté au fur et à mesure a été emporté par le vent.
Roman d'André Gobry
En mémoire de moi